Anima #2
Vendredi 22 Mai 2020 — Ces jours post-confinement s’écoulent d’une étrange façon. Il y a comme un faux rythme dans l’air, comme si nous ne savions plus très bien comment doit se dérouler la vie. Et alors que bon nombre d’étudiants sont en grande partie occupés à mettre en place un vaste système de triche généralisée en vue de valider une minable seconde session au raccroc, il m’a semblé intéressant de se replonger quelques instants sur nos besoins, désirs et aspirations.
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Je crois avoir entendu parler de la pyramide de Maslow pour la première fois vers la fin des années 90. Ayant toujours été sensible aux représentations graphiques des idées, celle-ci m’avait particulièrement intéressée. En y repensant aujourd’hui, je crois que son attrait repose sur un mélange d’au moins trois bons ingrédients.
Le mystère, évoqué par la pyramide qui vient naturellement nous transporter au temps de l’égypte ancienne, à la recherche de secrets.
Des termes qui donnent envie de creuser la question tels que besoin d’estime, accomplissement de soi. Si aujourd’hui ces termes font partie du langage courant, des préoccupations quotidiennes de beaucoup d’entre nous (ce qui est de mon point de vue une bonne chose), ils sont néanmoins trop souvent évoqués de façon floue ou « magique », sans réelle substance. Et pourtant cette pyramide donne envie de s’y intéresser de plus près.
Enfin la promesse qu’en suivant un processus documenté on arrivera au sommet, à la réalisation de soi.
Je ne vais pas détailler ici les différentes strates de la pyramide pour comprendre le modèle de Maslow. D’abord ce serait trop long, mais ensuite il est facile de s’en faire une idée en faisant de simples recherches en ligne. Disons que la représentation sous forme de pyramide met en évidence (dans cet ordre) les besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime et enfin de réalisation de soi. De plus, la représentation suggère que le besoin N+1 n’apparait que lorsque le besoin de niveau N est satisfait.
Je ne me suis plus intéressé à la pyramide jusque très récemment, mais je me souviens que quelque chose m’avait toujours « titillé ». Une anomalie. Comment pouvait-on avoir élaboré un modèle finalement assez fin en le réduisant à une pyramide à étages, qui me semblait figer inutilement les choses ?
Bien entendu, toutes les représentations, tous les modèles ne sont que des simplifications d’un réel que nous ne pouvons appréhender dans sa totalité. Mais je ne pouvais m’empêcher de voir là une incohérence dans la granularité de l’approche : pour moi le modèle était fin, alors que sa représentation était grossière.
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C’est alors que récemment, je suis tombé par hasard sur plusieurs articles intéressants au sujet de Maslow et sa fameuse pyramide (voir les liens ci-dessous). Il en ressort que Maslow lui-même n’a en fait jamais représenté sa théorie des besoins sous forme de pyramide !
Ahah ! Intéressant ! Mais alors pourquoi cette représentation et d’où vient-elle ? Un article avance de façon assez convaincante l’hypothèse que cette pyramide serait issue du monde du marketing et du management. L’idée était de s’approprier en les simplifiant les travaux de Maslow, afin de les rendre utiles et accessibles dans ce domaine, sans avoir à passer en revue toutes les subtilités de l’analyse psychologique, philosophique et sociologique de Maslow. Le but final était évidemment d’identifier les types de besoins de l’être humain et d’aller taper dedans pour placer un produit, ou encore comprendre les motivations des gens dans leur vie.
Avec la pyramide, on passe donc totalement à coté de la finesse du modèle. Le problème est que cette vision totalement dégradée est devenue la norme lorsqu’on parle de Maslow, donnant d’ailleurs des arguments pour critiquer le modèle à partir d’une fausse représentation.
Mais depuis quelques années, on assiste heureusement à un travail de relecture des nombreux écrits de Maslow pour tenter de remettre les choses en place.
Je confesse n’avoir pas lu Maslow. Enfin juste des passages, notamment à travers les articles cités plus bas d’où je tire les citations. Parmi un tas de choses intéressantes, je vais n’en évoquer que trois ici :
1.— Si Maslow a établit une sorte de hiérarchie des besoins, il a mis en garde à plusieurs reprises sur le fait de ne pas considérer cette idée comme figée : « In actual fact, most members of our society who are normal are partially satisfied in all their basic needs and partially unsatisfied in all their basic needs at the same time. » et « We have spoken so far as if the needs hierarchy were a fixed order, but actually it is not nearly so rigid as we may have implied. »
Ainsi, la structure de la pyramide avec ses séparations strictes est loin de représenter la vision de Maslow. Les choses sont bien plus perméables puisque chaque strate de besoin émerge à sa façon, bien avant que le besoin d’une strate inférieure ne soit comblé.
2.— Maslow voyait beaucoup plus de synergies entre différents besoins que ce que la pyramide suggère : « Maslow said of the basic needs hierarchy and the cognitive needs hierarchy, “they are synergistic rather than antagonistic”. »
Il semble d’ailleurs que le terme de « besoin » était parfois plutôt compris (et écrits) sous l’angle de pulsions, désirs, intérêts voire capacités. On voit donc là encore une simplification abusive des termes au profit du seul « besoin ».
3.— Enfin, il y eu beaucoup de critiques au sujet de l’aspect « centré sur soi » de l’approche de la pyramide, posant la réalisation personnelle comme au-dessus de tout le reste. Là encore c’est passer totalement à coté de l’analyse de Maslow : « I should say that I consider Humanistic, Third Force Psychology, a preparation for a still “higher” Fourth Psychology, transpersonal, transhuman, centered in the cosmos rather than in human needs and interest, going beyond humanness, identity, self-actualization, and the like.... We need something “bigger than we are” to be awed by and to commit ourselves to.»
Ainsi donc, à la suite de ces lectures j’ai mieux compris mon problème avec la pyramide. Aussi jolie soit-elle, elle est très loin de représenter fidèlement la pensée de Maslow. Cela n’empêche pas de pouvoir critiquer Maslow sur plusieurs points. Mais pour ce faire, encore faut-il s’approprier réellement sa pensée, et oublier la pyramide.
A noter d’ailleurs que Maslow parle également d’autres besoins (cognitifs : connaissance et compréhension du monde ; esthétiques : recherche du beau) mais que l’on ne voit pas repris dans la fameuse pyramide de base. D’autres représentations sont apparues, chacune tentant de compléter la hiérarchie des besoins, mais la pyramide reste la plus représentée. On peut citer par exemple une forme de sablier qui symbolise une ouverture après l’étape de la réalisation de soi (la transcendance).
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Suite à ces lectures et réflexions, je me suis demandé comment je confectionnerais une représentation graphique de ma propre compréhension du sujet. D’abord, j’imaginerais bien sept sphères aux contours relativement poreux, qui flotteraient au sein d’une entité plus grande représentant l’individu. Chaque sphère ayant son intérêt et sa matière propre, mais fonctionnant en synergie avec les autres au sein de l’être humain. J’enlèverais le terme « besoin » car il est réducteur (on pourrait aussi parler de désir, d’envies etc.). Je choisirais des couleurs différentes pour quatre groupes de sphères :
Physiologie et Sécurité d’un coté, car pour ceux-ci, on peut réellement parler de besoins de survie au niveau le plus profond de la machine.
Appartenance et Estime relèvent de besoins eux aussi vitaux mais ils impliquent des schémas, des représentations plus élaborés sur le plan social et de la conscience.
Cognition et Esthétisme vont encore un cran plus loin dans la représentation symbolique et abstraite du monde dans lequel nous évoluons. En ce sens on peut parler de besoins supérieurs mais sans que cela entraîne une condescendance vis-à-vis des autres besoins.
Accomplissement apparait évidemment comme une clef de voûte de l’ensemble. C’est néanmoins une sphère rarement réalisée, et qui dépend de façon complexe de la réalisation des autres sphères.
Enfin, cet ensemble serait englobé dans le fameux « Océan Cosmique » qu’évoque Maslow comme étant le point d’accomplissement au-delà de la personne, sa dilution dans quelque chose qui la dépasse.
J’ai donc imaginé quelque chose comme ça, ci-dessous.
Une remarque : de ce que j’ai cru lire rapidement, il n’est pas clair que Maslow mettrait les sphères Cognition et Esthétisme sur le même plan que les autres. Mais chez certaines personnes, ou à certains moments de notre vie, il s’agit bel et bien de besoins vitaux : comprendre le monde, l’attirance pour le beau prennent parfois une force incroyable dont la satisfaction prend le pas même sur notre sécurité. J’assume donc de les inclure ici, en attendant d’en lire plus.
Pour être franc, je ne suis pas du tout en admiration devant ma représentation. Je trouve qu’elle manque sa cible tout comme la pyramide, même si je lui trouve certaines qualités indéniables. Mais j’ai décidé de la laisser là, posée sur la table à coté de la tasse de café pour plusieurs raisons.
La première est que c’est clairement un brouillon. J’y reviendrai sans doute plus tard, après avoir également pris plus le temps de lire Maslow qui est définitivement bien plus intéressant que la fameuse pyramide qu’on lui attribue à tort.
La deuxième est que cela peut t’inciter à t’interroger, cher lecteur : qu’est-ce qui ne va pas, là non plus ? Le choix des couleurs ? La structure ? Manque-t-il des informations ? J’ai ma petite idée sur chacune de ces questions mais c’est à toi de te faire ton opinion. D’où ce petit exercice que je te conseille :
Exercice — de façon plus générale, je t’invite à piocher un sujet au hasard et te poser cette question : ce sujet-là, comment pourrais-je en faire une représentation simple mais efficace, qui illustre ma compréhension du moment ?
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PROJETS — un petit tour d’horizon des différents projets s’impose, étant donné que le confinement et ses suites remet en cause l’organisation de beaucoup de choses.
Photo : l’envie du moment est de poursuivre la recherche d’ambiances dans les bois. Qu’il s’agisse de photographie en mouvement, de portraits ou de représentation parfois sombres (voir très sombres !), les ambiances de forêts sont toujours une source d’inspiration incroyable pour construire des univers magiques.
Musique : Elüna a repris du service, et nous préparons un petit concert live sur Facebook pour la première quinzaine de Juin. Nous avons une longue liste d’envies de morceaux et d’ambiances, ainsi que des vidéos en tête.
Ecriture : ces lettres Anima me prennent de l’énergie au quotidien mais dès que j’aurai trouvé mon rythme, je pense me consacrer à nouveau à l’écriture pour des textes de Lune Bleue dont certains sont déjà bien échafaudés.
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Exercice pour moi — Ecrire la prochaine Anima en seulement quelques lignes ou paragraphe … un vrai challenge !
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