Anima #1

S’avancer vers quelqu’un que l’on ne connait pas est toujours un moment plein de fébrilité, oscillant entre incertitude et excitation. La rédaction de cette première « Anima » n’échappe pas à la règle. Telle une nouvelle paire de chaussure, il me faudra sans doute plusieurs kilomètres de marche avant de m’y sentir à l’aise … encore plus quand on a l’habitude de marcher pieds nus.

* * *

Dimanche dernier je me suis levé avec la ferme intention d’aller faire un tour dans le parc, en bas de la résidence. Juste marcher un peu, profiter du bruit de la nature avant d’entamer la journée et réfléchir à la façon dont je pourrais rédiger ce premier envoi. Café préparé, j’étais sur le point d’enfiler un coupe-vent lorsque l’idée saugrenue m’est venue d’allumer mon téléphone et regarder mes mails. 

Après avoir subi un orage de mails en tous genre en début de confinement, ils sont plutôt rares en ce moment et en particulier un dimanche de confinement, je ne m’attendais pas à en recevoir. Alors pourquoi vérifier ? Bonne question, première erreur.

Un mail m’attendait, un seul. Il était là, le sourire narquois sur les lèvres, tranquillement installé dans la boite de réception que j’avais entièrement vidée la veille (oui je fais cela, j’y reviendrai une autre fois).

Ces instants où, rien qu’en apercevant à la dérobée l’émetteur et le sujet, on sait. On sait en gros le contenu, on sait aussi qu’il va falloir le lire et prendre un peu de temps, se mobiliser pour y répondre.

Posant mon café j’ouvre donc l’ordinateur, déchiffre rapidement la missive et me lance, bien décidé à concocter sur le champ une réponse tant que je l’ai en tête. Après cela je serai tranquille.

Au moment où mes doigts commençaient à tapoter le clavier, je ne sais d’où ce rappel salutaire m’est venu : « aller au parc » .

Commença alors un marchandage avec moi-même. 

- Et donc… si j’allais au parc plutôt, comme prévu ?
- Finis donc ce mail d’abord, tu seras tranquille après !
- Oui mais je m’étais dit que j’irais…
- Mais voyons, la balade ça peut attendre 5mn non ?
- Et pas le mail ?
- Il vaut mieux partir l’esprit tranquille en balade, tu en profiteras plus. Et puis ça sera ta petite récompense.

Mon cerveau. Il est fort, je dois bien le reconnaitre.

Quand j’ai pris conscience qu’il se jouait de moi, j’ai refermé l’ordi immédiatement, mon cerveau avec. Et je suis sorti. C’est le mail qui a attendu, pas la vie.

* * *

1.— Un mail n’est jamais urgent. Je sais, ça demanderait à être développé et circonstancié. Je le ferai sans doute, mais ça serait trop long pour cette première Anima. Disons pour simplifier que dans mon cas, un mail peut toujours attendre quelques heures avant que cela n’entraîne une action de ma part. Il y a évidemment des exceptions mais c’est le cas pour 99% des mails que je reçois. Je pars également du principe qu’en cas de vraie urgence, mon correspondant trouvera un autre moyen de contact (sms, chat, appel…). Encore faut-il définir ce qu’on entend par « urgence ».

Définition : L’urgence est une situation qui nécessite la mise en place d’une action de ma part dans l’heure qui suit — à vous de fabriquer votre propre définition.

Principe : Par défaut un mail ne relève jamais de l’urgence. Les exceptions sont rares mais soit mon cerveau ne le sait pas, soit il le sait et veut me faire croire le contraire.

Bien. Problème réglé. Autre chose ?

- Oui mais ça dépend ! Si on te demande un gros boulot genre pondre un rapport de 20 pages pour demain, ça n’est pas dans l’heure mais c’est urgent !

- Une demande qui me laisse 24h pour la traiter n’est pas une urgence dans le paradigme que j’utilise. Ca me laisse de quoi m’organiser, réfléchir, modifier éventuellement mon emploi du temps, demander de l’aide à quelqu’un, accéder à des ressources. 

Clairement, si je ne peux activer ni l’une ni l’autre des options ci-dessus dans le temps imparti, alors il s’agit d’une demande qui dépasse ma capacité à y répondre en gardant mon intégrité. Dans ce cas, la demande n’est pas raisonnable (dans ces circonstances) et il me faudra sans doute négocier plus de temps, voire renoncer. 

2.— Agir avant même d’y avoir pensé. Dans certaines situations, il faut à tout prix éviter le dialogue intérieur et agir avant même d’y réfléchir. Si je décide d’aller faire un tour dans le parc, avant même de reconsidérer l’action je dois déjà être dehors. Sans quoi le risque, c’est qu’un millier de raisons viennent se mettre en travers de mon chemin pour m’empêcher de sortir. 

Une fois dehors, j’ai le droit d’y repenser si je le souhaite. C’est trop tard pour m’en empêcher.

Principe : la prière de la sérénité re-visitée :

Donnez-moi la grâce de prendre du recul quand la situation l’exige.
Le courage de résister à la rumination quand il me faut agir.
Et surtout la sagesse de distinguer l’un de l’autre.

Car oui, tout le problème est là, niché au coeur de cette dernière phrase. Savoir distinguer si la situation nécessite d’y réfléchir ou d’agir. Il y a en général une tendance qui se dessine pour chacun de nous, un programme qui tourne en tâche de fond et nous fait adopter « par défaut » l’une ou l’autre de ces deux réponses. Bon, ben va falloir apprendre à hacker ce bout de code.

 * * *

Photo — Prise en 2014 à Miyajima, petite île située juste en face de Hiroshima. Miyajima est considérée comme un sanctuaire, un lieu où les daims sont en totale liberté et où on peut se promener dans la forêt primaire. Son grand Torii rouge et noir (porte symbolique) attire chaque année des foules des visiteurs. A marée haute, le Torii est dans l’eau d’où son surnom de « Torii flottant ». Sur la photo, en face de la baie on devine Hiroshima sur la droite.

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Miyajima

Un soir de 2014

J’ai eu la chance de pouvoir dormir sur place et assister donc au crépuscule. Deux fois, en fait. Je me souviens de cette atmosphère paisible, le soir était doux. Petit à petit les gens reprenaient les navettes pour rentrer et bientôt il ne restait plus grand-monde sur l’île. Les daims arpentaient alors les rues, rentraient dans les petits commerces près de l’embarcadère. La nuit fut magique, le réveil également, hors du temps.

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Anima #2