Anima #7

« Parmi les dieux, quelques uns possèdent le don de prophétie, la faculté de voir à travers l'obscurité et d'avoir un aperçu de nos destins. Tout ne peut pas être prédit. La plupart des dieux et des mortels ont des vies qui ne sont rattachées à rien : elles s'emmêlent et suivent leur chemin ici et là, sans plan préétabli. Mais il y a aussi ceux qui portent leur destin comme un noeud coulant autour du cou, et dont la vie se déroule, aussi rectiligne que du fil de fer, quels que soient leurs efforts pour s'écarter du chemin tracé. Ce sont ceux-là que nos prophètes peuvent voir. »

Ce paragraphe est tiré du Roman « Circé » que je dévore donc depuis le solstice, comme prévu.

Il a retenu mon attention et je me suis livré au petit jeu du choix absurde : si je devais choisir entre les deux options, pour laquelle opterais-je ?

*  *  *

Ce jeu est un exercice que je pratique souvent pour plusieurs raisons. Peut-être devrais-je prendre un moment pour en dire plus à ce sujet. L'idée est de se confronter à un choix binaire, parfois absurde d'ailleurs, du genre  « que préfères-tu ? Ton papa ou un carré de chocolat ? ». Parfois plus subtil « entre la pluie et la rosée ? ».

Ou encore, un choix assez clairement établi et a priori facile à trancher comme ici : choisir une vie à l'improviste, ou se fondre dans un destin bien tracé.

L'exercice est intéressant d'abord pour sa simple capacité à nous faire réfléchir sur nos choix, nos envies. Les assumer. Et puis débusquer les motivations cachées est toujours fructueux.

J'aime aussi chercher un espace de réconciliation entre les alternatives. Elles ne s’excluent que dans un mode de pensée qui les rend excluantes. Est-il possible de changer de cadre pour les rendre non excluantes ? Augmenter son approche pour inclure plus de possibilités ?

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Aparté Mathématique (que vous pouvez passer si vous le souhaitez !).

En Maths, cette façon d'inclure de nouvelles solutions est une pratique quasi-quotidienne : quand une équation n’a pas de solution dans un ensemble donné, alors on introduit un nouveau symbole pour désigner une solution dans un ensemble plus grand. Et ensuite on essaye de voir comment on pourrait manipuler les choses pour que cela reste cohérent.

Et en fait, vous êtes même habitués à cela depuis longtemps.

Quand enfant on compte sur nos doigts, on s’amuse avec des symboles représentés par ce qu'on appelle les entiers naturels : 1, 2, 3 etc… On peut alors se poser des devinettes : quel est le nombre x tel que si je lui ajoute 3 unités, j'en obtiens 5 ? La réponse est évidemment 2. Pour cela, on a résolu une équation qui se formalise ainsi : x + 3 = 5.

La devinette intéressante, qui fait sortir du cadre est la suivante : quel est le nombre tel que, quand je lui ajoute 3, j'obtiens 2 ?

Koan.

Tant que l'on reste dans les entiers dits « naturels », c'est à dire sans signe, cette énigme n'a pas de solution : il n'existe pas de tel nombre car dès qu'on ajoute quelque chose à 3, on obtiendra toujours quelque chose de plus grand que 3.

Il faut donc « inventer » un nouveau symbole pour donner un nom, une couleur à cette solution imaginaire. On  décide de l'appeler « -1 ». A partir de là, on peut répéter l'opération et créer le nombre « -2 », puis « -3 » etc…

On va donc considère un ensemble de nombres beaucoup plus vaste, celui des entiers dits « relatifs ». Ensemble qui comprend non seulement 1, 2, 3 etc… mais aussi -1, -2,-3 etc…

Au passage on introduit aussi un symbole particulier, 0, qui ne change rien dans l’addition. C'est aussi une difficulté conceptuelle mais c'est un autre sujet.

Retournons à nos moutons : en ajoutant  une solution symbolique, on a créé un ensemble où nos problèmes possèdent de nouvelles solutions. Et évidemment ça ne s'arrête pas là, ce procédé peut à nouveau se répéter pour résoudre de nouvelles énigmes et ainsi « créer » de nouvelles solutions. C'est ainsi qu'on introduit par exemple les fractions, puis les nombres dits « réels » … et plus encore.

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La question est donc de trouver un moyen de concilier les choix.

Dans notre exemple, peut-être est-il possible de se sentir bien à sa place, sur sa destinée, tout en intégrant sa nature faite d'improvisations et de choix parfois arbitraires. Que c'est une qualité intrinsèque de la destinée et que quelque part, il est prévisible qu'à un moment donné, nos atomes dévieront de leur route d’origine.

L’émergence d’un cadre de pensée incluant l’impermanence comme un élément fondamental, un attribut de l’existence n'a rien de nouveau : ce concept se glisse un peu partout dans l'histoire de l'humanité, qu'il s'agisse de philosophie, d'art ou de civilisations.

La difficulté se situe plutôt dans le fait d'accepter ce cadre dans notre propre vie. Intégrer cette « solution » pour ce qu'elle est, une solution, plutôt que d'y voir un problème.

Essayer d’apprivoiser l’impermanence, la manipuler pour tester ses lois, à travers nos choix conscients ou non.

Une sorte de destinée aléatoire, fluctuante. Un chemin propre à chacun. Et au fond, tracé ou pas, qu'importe ?

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Exercice — il s'agit donc de se trouver un exercice de réflexion. Les occasions sont nombreuses : un passage d'un roman comme ci-dessus, un échange avec un ami, une phrase à la dérobée, entendue dans un café. Premièrement, formuler une question sous forme de choix.

Puis, chercher à se positionner en se demandant : si je devais absolument choisir, que ferais-je ? pourquoi ? Parfois il s'agit d'évidence mais souvent, choisir a évidemment un coût, car c'est aussi un renoncement. Quels sont les coûts cachés ? les conséquences non pas de premier ordre, mais celles qui découlent en cascade de ce choix ? 

Enfin, est-il possible de changer ma façon de penser, de sortir du cadre pour trouver une méta-solution. Une solution qui ne laisse pas de côté quelque chose. Peut-être une solution tout simplement « technique », utilisant des outils plus élaborés. Mais peut-être aussi que cela relève d'un changement d'attitude, ou de croyances de ma part.

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Photo — En voyant le coucher de soleil projeté sur mon mur (certains ont vu cette photo passer sur les réseaux sociaux), je me suis demandé ensuite ce que serait la même photo en mode « nuit ». Ecrire au clair de lune. Il va vraiment falloir que je me remette à Lune Bleue !

 
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